Naissance dans un jardin allemand

Naissance dans un jardin allemand

Mesdames, Messieurs, nous vous informons que notre bus fera une halte sur le bord du chemin. Nous vous rappelons que l’usage de Coca Cola, bananes, chocolat, appareils photo et autre produits en provenance du bloc Ouest, est strictement interdit à l’extérieur de ce bus. Nous vous invitons à profiter de cet arrêt pour vous restaurer. Le ravitaillement en pain gris honorera votre pause goûter. Nous vous souhaitons un agréable moment.
Quatre heures. Les passagers ont besoin de se dégourdir les jambes. Le paysage identique, de kilomètre en kilomètre, a laissé son ruban de monotonie sur l’autoroute. Quatre heures et quelques minutes s’affichent sur les montres. Combien d’heures de voyages avant cette halte devant le verger ? Combien de haltes ont précédé ? Celle-là, justement ?
En ce début du mois de juillet, les hommes en blouses uniformes cueillent des cerises du bloc Est. Leur couleur carmin répond avec justesse au ciel gris qui recouvre paisiblement ce jardin inattendu. Un lieu où chaque ouvrier semble travailler à son rythme. Les voyageurs, restés proches du bus, sont abordés par l’un des ouvriers. Il leur offre une cagette de ces fruits rutilants. Quelle aubaine ! Voilà de quoi compenser le vide commercial qui affecte cet endroit.

Coup de gomme ! Effacés les voyageurs, le bus, les bananes, le Coca Cola et tutti quanti. Place à l’essentiel : le verger devenu jardin éternel. Seuls les cueilleurs figurent encore parmi les arbres. Les dégradés de vermillons fruités perdurent dans les feuillages verts. L’enveloppe céleste grise décline les rayons de l’orient. La chaleur duveteuse exalte les parfums des cerises-cannelle. Les accents gutturaux berceront à jamais cet instant de contemplation.

J'aime beaucoup. Ce paysage impressionniste se noie dans le flou d'un rêve ou d'une vision déformée par la chaleur et les paupières lourdes ... Ou c'est peut-être parce qu'il fait beau chez moi ? En tout cas il a tout d'une hallucination fugace et merveilleuse, comme quelque chose de trop simple pour être vrai.

Oui, c'est vrai tu as bien saisi la difficulté que j'ai eue à présenter ce jardin d'une beauté simple et pourtant vraie. Il m'a fallu l'introduire avec le voyage qui a précédé, et qui a réellement eu lieu d'ailleurs en 1979 en RDA.
J'ai gardé une impression très forte de ce verger, observé durant une demie heure avec deux grands yeux émerveillés par tant de beauté. Il s'agit d'un souvenir, qui est sûrement déformé par mon ressenti, donnant ainsi l'impression d'un rêve.
Je regrette bien de ne pas savoir peindre, car j'aurais volontiers matérialisé ce souvenir, afin de me le remémorer à souhaits.

Hey
Je me rappelle que tu avais deja parlé de ce jardin lors d'un précédent numero de graphiles ('privé ?) et que nous n'avions rien finalisé alors. C'est vrai qu'il laisse plein d'impressions ce texte. Je vois aussi comme une prière ou un mantra avec ces repetitions presque publicitaires (bananes, coca et tutti quanti) et ces aliterations qui ki ki ki semblent siffler sur nos tetes. Une drole d'opposition, une apparition quasi zen/mystique et cette monotonie proposée par le monde de la consommation. Perso j'adore. Je regrette vraiment que le texte ne soit pas plus long. Tu pourrais vraiment faire de la propagande

Effectivement, ce jardin avait déjà été évoqué dans "privé". J'espère qu'il verra un aboutissement cette fois-ci. Dans ce texte, j'ai voulu inversé les a priori concernant les deux blocs, et donner envie de passer le rideau de fer, envie de goûter aux délices de l'Est. Une vraie propagande, c'est ça ! Le reste de mes souvenirs de ce voyage est trop flou et perso pour allonger le texte. Merci pour la lecture intéressante que tu as fait de ce texte.

Oui et derriere propagande je voyais aussi ces anciens posters des années 40 qui te présentent une famille d'ouvriers heureuse de vivre sous le joug d'une dictature. Ce texte pourrait fort bien fonctionner comme l'edito du numero 07 avec une image qui reprendrait les codes de ces affiches (ou pas??? Le terrorisme du consumierisme....). Et le titre devenir "naissance de jardins extraordinaires".. ? Des idées, jetées, pour celui/celle qui se sent des ailes avant la publication.

Devant l'avalanche de propositions , je poste ici une possibilité pour ton texte Val. Une image un peu impressionniste (du style, impressions, hallucinations) ou j'interprete certains de tes mots (rubans, vermillons..) pour obtenir une composition plutot contemplative... Ca pourrait ouvrir le magazine.. Qu'en pensez vous ?

Moi, j'en pense que je suis très flatée. Je veux bien commencer le numéro avec ce texte. L'image est superbe
Les couleurs sont relevées, il y de jolis dégradés exprimés dans des zones de flou. Cette manière d'envisager le jardin le rend encore plus présent car il est au premier plan.
Le plus Titinien, c'est les couleurs flasch, les lignes croisées, les cadres
qui ressemblent aux fenêtres du bus, le modern touch. Bref, c'est la cerise sur le gâteau !

J'approuve et applaudis !